LE LIVRE D’ESTER

ARGUMENT

On voit dans ce livre comment Dieu se servit de la reine Ester, qui était Juive et femme du roi Assuérus, pour délivrer les Juifs qui étaient dans les états de ce prince et pour leur faire du bien. On croit que ce qui est récité dans ce livre arriva quelque temps après que les Juifs furent revenus de la captivité de Babylone et que cet Assuérus, qui était nommé Artaxerxes, dans les additions à Ester, était Darius, fils d’Hystapse. Ce prince, de même que les autres rois de ce temps-là, ayant différents noms dans l’écriture sainte et dans les histoires profanes.

Chapitres  CHAPITRE I. CHAPITRE II.  CHAPITRE III.  CHAPITRE IV.   CHAPITRE V.  CHAPITRE VI.  CHAPITRE VII.  CHAPITRE VIII.   CHAPITRE IX.  CHAPITRE X.  LIVRES DU VIEUX TESTAMENT

CHAPITRE I.

Le roi Assuérus fait un festin magnifique aux principaux seigneurs de son royaume, et il répudie la reine Vasçti, son épouse, parce qu’ayant été appelée pour paraître à ce festin, elle refusa d’y venir.

1 Dans le temps qu’Assuérus régnait depuis les Indes jusqu’à l’Ethiopie, sur cent vingt-sept provinces ;

2 en ce temps-là, dis-je, le roi Assuérus étant assis sur le trône de son royaume, à Susan, ville capitale,

3 la troisième année de son règne, il fit un festin à tous les principaux seigneurs de ses pays, et à tous ses serviteurs, de sorte que toute la puissance de Perse et de Mède, les plus grands seigneurs, et les gouverneurs des provinces, étaient devant lui,

4 pour montrer les richesses de la gloire de son royaume, et l’éclat de l’excellence de sa grandeur ; ce qui dura plusieurs jours, savoir, cent quatre-vingts jours.

5 Et au bout de ces jours-là, le roi fit un festin pendant sept jours, dans le parvis du jardin du palais royal, à tout le peuple qui se trouva à Susan, ville capitale, depuis le plus grand jusqu’au plus petit.

6 Les tapisseries de couleur blanche, verte et d’hyacinthe tenaient, avec des cordons de fin lin et d’écarlate, à des anneaux d’argent et des colonnes de marbre ; les lits étaient d’or et d’argent, sur un pavé de porphyre, de marbre, d’albâtre et de marbre tacheté.

7 On donnait à boire dans des vases d’or, qui étaient de diverses façons, et il y avait du vin royal en abondance, comme le roi le pouvait faire.

8 Et la manière de boire fut telle qu’on l’avait ordonné ; on ne contraignait personne, car le roi avait ainsi expressément commandé à tous ses maîtres d’hôtel, qu’ils fissent comme chacun voudrait.

9 Et Vasçti la reine fit aussi un festin aux femmes, dans la maison royale qui était au roi Assuérus.

10 Or, le septième jour, comme le roi avait le cœur gai du vin qu’il avait pris, il commanda à Méhuman, Bitza, Harbona, Bigtha, Abagtha, Zéthar et Carcas qui étaient les sept eunuques qui servaient devant le roi Assuérus,

11 d’amener Vasçti la reine devant lui, avec la couronne royale, pour faire voir sa beauté aux peuples et aux seigneurs ; car elle était belle.

12 Mais Vasçti la reine refusa de venir au commandement que le roi lui fit faire par les eunuques ; et le roi se mit en fort grande colère, et son courroux s’alluma en lui.

13 Alors le roi dit aux sages, qui avaient la connaissance des temps (car le roi communiquait ainsi ses affaires à tous ceux qui connaissaient les lois et le droit ;

14 et alors Carscéna, Scéthar, Admatha, Tarscis, Mérès, Marséna et Mémucan, sept seigneurs de Perse et de Mède, étaient proches de lui, regardant le visage du roi, et ils avaient la première séance dans le royaume) ;

15 le roi, dis-je, leur dit : Que doit-on faire, selon les lois, à Vasçti la reine, pour n’avoir point exécuté le commandement que le roi Assuérus lui a envoyé faire par les eunuques ?

16 Alors Mémucan parla, en la présence du roi et des seigneurs, disant : La reine Vasçti n’a pas seulement mal agi contre le roi, mais aussi contre tous les seigneurs, et contre tous les peuples, qui sont dans toutes les provinces du roi Assuérus.

17 Car, ce que la reine a fait se répandra parmi toutes les femmes, pour leur faire mépriser leurs maris, quand on dira : Le roi Assuérus avait commandé qu’on lui amenât la reine, et elle n’y est pas venue.

18 Et aujourd’hui, les dames de Perse et de Mède, qui auront appris la réponse de la reine, répondront ainsi à tous les seigneurs des pays du roi, d’où il arrivera beaucoup de mépris et de colère.

19 Si le roi le trouve bon, qu’on publie un édit royal de sa part, et qu’il soit écrit entre les ordonnances de Perse et de Mède, et qu’il soit irrévocable ; c’est que Vasçti ne vienne plus devant le roi Assuérus, et que le roi donne son royaume à une autre qui soit meilleure qu’elle.

20 Et l’édit que le roi aura fait ayant été entendu par tout son royaume, qui est très grand, toutes les femmes honoreront leurs maris, depuis le plus grand jusqu’au plus petit.

21 Cette parole plut au roi et aux seigneurs ; et le roi fit ce que Mémucan avait dit.

22 Et il envoya des lettres par toutes les provinces du roi, à chaque province selon sa manière d’écrire, et à chaque peuple selon sa langue, afin que chacun fût maître en sa maison ; et cela fut publié selon la langue de chaque peuple.

REFLEXIONS
Le récit qui est fait dans ce chapitre de ce superbe festin, que le roi Assuérus donna aux seigneurs de son empire et aux gouverneurs des provinces, fait voir les richesses et la magnificence de ce monarque et par là on peut juger de la gloire à laquelle Ester fut élevée en devenant son épouse. Cependant, on remarque, dans la description de ce festin, la sagesse et la tempérance d’Assuérus et de ceux de sa cour, puisqu’on n’y contraignait personne à boire au-delà de ce qu’il voulait. Ce procédé d’un prince païen ne devrait-il pas faire rougir les chrétiens des excès honteux auxquels ils s’abandonnent si souvent dans de semblables occasions. II. On voit dans la conduite hautaine et fière de la reine Vasçti et dans la disgrâce où elle tomba que les personnes orgueilleuses s’attirent ordinairement de grands malheurs et que la providence abaisse les superbes pendant qu’elle élève les humbles. III. Il faut considérer surtout que Dieu voulut que Vasçti fût répudiée afin d’élever à sa place Ester qui devait être un instrument en la main de Dieu pour délivrer les Juifs. La dernière réflexion qu’on doit faire sur ce chapitre est que si Assuérus et ses conseillers jugèrent que la conduite de la reine Vasçti était blâmable et d’une dangereuse conséquence et que les femmes doivent honorer leurs maris. C’est là un devoir qui est imposé de la manière la plus expresse aux femmes chrétiennes par la loi divine et en particulier par ce que St. Paul dit : Que les femmes doivent être soumises à leurs maris comme au Seigneur et qu’il ne leur était pas permis de prendre autorité sur eux.

CHAPITRE II.

Le roi Assuérus, après avoir répudié la reine Vasçti, choisit Ester, qui était une fille juive, pour être reine en sa place. Deux officiers d’Assuérus conspirent contre lui, et Mardochée, proche parent d’Ester, découvre leur conspiration.

1 Après ces choses-là, lorsque la colère du roi Assuérus fut apaisée, il se souvint de Vasçti, et de ce qu’elle avait fait, et de ce qui avait été décrété contre elle.

2 Et les jeunes gens qui servaient le roi, dirent : Qu’on cherche au roi des jeunes filles vierges et belles ;

3 et que le roi établisse des commissaires, dans toutes les provinces de son royaume, qui assemblent toutes les jeunes filles qui seront vierges et belles, à Susan, ville capitale, dans l’hôtel des femmes, sous la charge d’Hégaï, eunuque du roi et gardien des femmes ; et qu’on leur donne ce qu’il leur faut pour se préparer.

4 et la jeune fille qui plaira au roi régnera en la place de Vasçti. La chose plut au roi, et il le fit ainsi.

5 Or, il y avait à Susan, ville capitale, un homme juif, nommé Mardochée, fils de Jaïr, fils de Scimhi, fils de Kis, Benjamite,

6 qui avait été transporté de Jérusalem, avec les prisonniers qui avaient été emmenés captifs avec Jéchonias, roi de Juda, et que Nébucadnésar, roi de Babylone, avait transportés.

7 Mardochée nourrissait Hadassa, qui est Ester, fille de son oncle ; car elle n’avait ni père ni mère. Et la jeune fille était de belle taille, et très belle ; et après la mort de son père et de sa mère, Mardochée l’avait prise pour sa fille.

8 Et quand la parole du roi et son édit fut su, et que plusieurs jeunes filles eurent été assemblées à Susan, ville capitale, sous la charge d’Hégaï, Ester fut aussi amenée dans la maison du roi, sous la charge d’Hégaï, gardien des femmes.

9 Et la jeune fille lui plut et gagna ses bonnes grâces, de sorte qu’il lui fit aussitôt expédier ce qu’il lui fallait pour se préparer ; il lui ordonna son état, et sept jeunes filles de la maison du roi, telles qu’il les lui fallait ; il lui fit changer d’appartement, et il la logea, elle et toutes ses jeunes filles, dans un des plus beaux lieux de l’hôtel des femmes.

10 Mais Ester ne déclara point son peuple ni son parentage ; car Mardochée lui avait enjoint qu’elle n’en déclarât rien.

11 Et Mardochée se promenait tous les jours devant le vestibule de l’hôtel des Femmes, pour savoir comment se portait Ester, et ce qu’on ferait d’elle.

12 Or, quand le tour de chaque jeune fille était venu, pour entrer vers le roi Assuérus, ayant achevé tout ce qui lui était échu à faire, selon ce qui était ordonné touchant les femmes, douze mois durant ; car c’est ainsi que s’accomplissaient les jours de leurs préparatifs ; savoir, six mois avec de l’huile de myrrhe, et six mois avec des choses aromatiques et d’autres préparatifs de femmes ;

13 et alors, en cet état, la jeune fille entrait vers le roi ; on lui donnait tout ce qu’elle demandait pour aller avec elle, depuis l’hôtel des femmes jusqu’à l’hôtel du roi.

14 Elle y entrait sur le soir ; et sur le matin, elle retournait dans le second hôtel des femmes, sous la charge de Sçahasçgas, eunuque du roi, gardien des concubines ; et elle n’entrait plus vers le roi, à moins que le roi ne le voulût, et qu’elle ne fût appelée nommément.

15 Quand donc le tour d’Ester, fille d’Abihaïl, oncle de Mardochée, et que Mardochée avait prise pour sa fille, fut venu pour entrer vers le roi, elle ne demanda que ce que Hégaï, eunuque du roi, gardien des femmes, dirait ; et Ester gagnait la bonne grâce de tous ceux qui la voyaient.

16 Ainsi Ester fut amenée vers le roi Assuérus, dans son hôtel royal, au dixième mois, qui est le mois de Tébeth, dans la septième année de son règne.

17 Et le roi aima plus Ester que toutes les autres femmes, et elle gagna ses bonnes grâces et sa bienveillance, plus que toutes les autres vierges ; il mit la couronne du royaume sur sa tête, et il l’établit reine à la place de Vasçti.

18 Et le roi fit un grand festin à tous les principaux seigneurs de ses pays, et à tous ses serviteurs, savoir, le festin d’Ester ; et il soulagea les provinces, et fit des présents selon la puissance royale.

19 Or, comme on assemblait les vierges la seconde fois, et que Mardochée était assis à la porte du roi,

20 Ester ne déclara point son parentage ni son peuple, selon que Mardochée le lui avait recommandé ; car elle faisait ce que Mardochée lui ordonnait, comme lorsqu’elle était nourrie chez lui.

21 En ces jours-là, Mardochée étant assis à la porte du roi, Bigthan et Térès, deux eunuques du roi, d’entre ceux qui gardaient l’entrée, se mutinèrent, et ils cherchaient à mettre la main sur le roi Assuérus.

22 Ce que Mardochée ayant appris, il le fit savoir à Ester la reine ; puis Ester le redit au roi, de la part de Mardochée.

23 Alors on en fit la recherche, et on trouva que cela était vrai ; et les eunuques furent tous deux pendus à un gibet, et cela fut écrit dans le livre des Chroniques, devant le roi.

REFLEXIONS
Ce chapitre contient deux événements remarquables. Le premier est le choix que le roi Assuérus fit d’Ester entre toutes les femmes pour la déclarer reine à la place de Vasçti. La providence dirigea les choses de cette manière afin qu’Ester, qui était Juive, mît les Juifs à couvert des malheurs auxquels ils allaient être exposés. Ainsi l’on voit en cela le soin que Dieu avait, non seulement d’Ester qui parvint à une si grande élévation, mais principalement des Juifs dont il y en avait alors un grand nombre qui étaient répandus dans l’empire d’Assuérus. C’est ainsi que Dieu a suscité de tout temps des personnes pour garantir son église des dangers auxquels elle était exposée. L’autre événement, qui fut aussi dans la suite l’occasion de la délivrance des Juifs, est que Mardochée, qui était Juif et proche parent de la reine Ester et qui même lui avait servi de père, découvrit la conspiration que deux officiers d’Assuérus avaient
formée contre ce prince. Il est vrai que ce service si important que Mardochée avait rendu à Assuérus fut d’abord oublié et demeura sans récompense, mais il fut écrit dans les registres publics. Et il parut bien quelque temps après que Dieu conduisait tout cela, puisque l’avis que Mardochée avait donné de cette conspiration fut la cause de son élévation, de la ruine d’Haman, l’ennemi des Juifs, et de la délivrance de ce peuple. La providence prépare ainsi les choses longtemps à l’avance pour exécuter ses desseins. Au reste, on a dans la conduite de Mardochée un exemple remarquable de la fidélité que les sujets doivent à leurs princes.

CHAPITRE III.

Haman, qui était favori du roi Assuérus, irrité de ce que Mardochée ne se prosternait pas devant lui, forme le dessein de faire périr Mardochée et tous les Juifs et il obtient du roi les ordres nécessaires pour cela.

1 Après ces choses, le roi Assuérus agrandit Haman fils d’Hammédatha, Agagien ; et il l’éleva, et mit son trône au-dessus de celui de tous les seigneurs qui étaient avec lui.

2 Et tous les officiers du roi, qui étaient à la porte du roi, s’inclinaient et se prosternaient devant Haman ; car le roi l’avait ainsi ordonné. Mais Mardochée ne s’inclinait point, ni ne se prosternait point devant lui.

3 Et les officiers du roi, qui étaient à la porte du roi, disaient à Mardochée : Pourquoi violes-tu le commandement du roi ?

4 Il arriva donc, qu’après qu’ils le lui eurent dit plusieurs jours, et qu’il ne les eut point écoutés, ils le rapportèrent à Haman ; pour voir si Mardochée serait ferme dans sa résolution, parce qu’il leur avait déclaré qu’il était Juif.

5 Et Haman vit que Mardochée ne s’inclinait ni ne se prosternait point devant lui ; et il fut rempli de colère.

6 Or, il ne daignait pas mettre la main sur Mardochée seul ; mais parce qu’on lui avait rapporté la nation dont était Mardochée, il cherchait à exterminer tous les Juifs, qui étaient par tout le royaume d’Assuérus, comme étant la nation de Mardochée.

7 Et au premier mois, qui est le mois de Nisan, la douzième année du roi Assuérus, on jeta Pur, c’est-à-dire, le sort, devant Haman, pour chaque jour, et pour chaque mois, et le sort tomba sur le douzième mois, qui est le mois d’Adar.

8 Et Haman dit au roi Assuérus : Il y a un certain peuple dispersé parmi les peuples, par toutes les provinces de ton royaume, et qui, toutefois, se tient à part, duquel les lois sont différentes de celles de tous les autres peuples, et ils n’observent point les lois du roi, de sorte qu’il n’est pas expédient au roi de les laisser ainsi.

9 Si donc le roi le trouve bon, qu’on écrive pour les détruire, et je délivrerai dix mille talents d’argent, entre les mains de ceux qui manient les affaires, pour les porter dans les trésors du roi.

10 Alors le roi tira son anneau de sa main, et le donna à Haman, fils de Hammédatha, Agagien, qui opprimait les Juifs.

11 Outre cela, le roi dit à Haman : Cet argent que tu m’offres t’est donné, aussi bien que ce peuple, pour en faire ce que tu voudras.

12 Et au treizième jour du premier mois, on appela les secrétaires du roi, et on écrivit aux satrapes du roi, comme Haman l’ordonna, et aux gouverneurs qui étaient établis sur chaque province, et aux principaux de chaque peuple, savoir, à chaque province selon sa façon d’écrire, et à chaque peuple selon sa langue ; le tout fut écrit au nom du roi Assuérus, et cacheté de l’anneau du roi.

13 Et les lettres furent envoyées par des courriers, dans toutes les provinces du roi, afin qu’on eût à exterminer, à tuer et à détruire tous les Juifs, tant les jeunes que les vieux, les petits enfants et les femmes, dans un même jour, savoir, au treizième jour du douzième mois, qui est le mois d’Adar, et à piller leurs dépouilles.

14 Les patentes qui furent écrites portaient, qu’on publierait l’ordonnance dans chaque province, et qu’on la proposerait publiquement à tous les peuples, afin qu’on fût prêt pour ce jour-là.

15 Ainsi les courriers, pressés par le commandement du roi, partirent ; l’ordonnance fut aussi publiée à Susan, ville capitale. Mais le roi et Haman étaient assis pour boire, pendant que la ville de Susan était dans le trouble.

REFLEXIONS
L’élévation d’Haman fait voir que Dieu permet quelquefois que des hommes orgueilleux et cruels parviennent à un grand degré d’honneur et de puissance et qu’ils abusent de leur autorité pour faire périr les innocents. Mais il les abaisse bientôt et il les fait tomber dans la honte et dans la misère. II. Haman conçut une forte haine contre Mardochée et contre les Juifs parce que Mardochée ne se prosternait pas devant lui, ce que Mardochée faisait, non par orgueil, mais parce que sa religion ne lui permettait pas de rendre à Haman les honneurs qu’il exigeait. Rien n’irrite plus les ambitieux que lorsqu’on ne s’humilie pas devant eux et le ressentiment qu’ils en ont excité ordinairement leur haine et les porte à la plus cruelle vengeance. Cela avertit tout le monde et principalement les grands d’être humble dans leur élévation. III. L’on voit qu’Haman ne fit pas tomber son ressentiment sur Mardochée seul, mais qu’il résolut de perdre tous les Juifs et que, pour en venir à bout, il prévint Assuérus contre eux par calomnie, les représentants comme un peuple séditieux et ennemi des princes. C’est la voie dont les ennemis de l’église se sont servis de tout temps pour la rendre odieuse aux rois. Ce moyen réussit à Haman. Il obtint du roi un édit qui condamnait tous les Juifs à la mort, le jour où ils devaient être exterminés était marqué, en sorte que tout ce peuple se vit dans la dernière détresse. Mais on voit par la suite de cette histoire que Dieu ne laissa pas venir les choses à cette extrémité, que pour mieux confondre Haman et pour marquer sa protection envers les Juifs d’une manière plus éclatante. Cependant Assuérus crut trop facilement ce qu’Haman lui avait dit contre les Juifs et par là il manqua de faire périr plusieurs milliers d’innocents. Cela montre qu’il est bien dangereux d’écouter les calomniateurs et qu’on ne doit jamais ajouter foi aux rapports sans s’être auparavant informé de la vérité.

CHAPITRE IV.

Mardochée ayant su qu’Assuérus avait donné un édit pour détruire tous les Juifs en est dans une extrême affliction et il fait avertir la reine Ester de travailler à obtenir du roi la révocation de cet édit. Ester fit d’abord quelque difficulté d’en parler au roi, mais sur ce que Mardochée lui fit présenter, elle promit d’agir en faveur des Juifs et elle leur fit dire de se mettre en jeûne et en prières pendant trois jours pour obtenir de Dieu le succès du dessein qu’elle avait formé.

1 Quand Mardochée eut appris tout ce qui avait été fait, il déchira ses vêtements, et se couvrit de sac et de cendre, et il sortit par la ville, criant d’un cri grand et très amer.

2 Et il vint jusqu’au-devant de la porte du palais du roi (car il n’était point permis d’entrer dans le palais du roi, étant vêtu d’un sac).

3 Et dans chaque province, dans les lieux où la parole du roi et son ordonnance parvint, les Juifs furent en grand deuil, jeûnant, pleurant et lamentant ; et plusieurs se couchaient sur le sac et sur la cendre.

4 Or, les demoiselles d’Ester et ses eunuques vinrent et lui rapportèrent cela ; et la reine fut fort affligée, et elle envoya des habits pour en revêtir Mardochée, et afin qu’il ôtât son sac de dessus lui ; mais il ne les prit pas.

5 Alors Ester appela Hathac, un des eunuques du roi, que le roi avait établi pour la servir ; et elle lui donna ordre de savoir de Mardochée ce que c’était, et pourquoi il en usait ainsi.

6 Hathac donc sortit vers Mardochée, dans la place de la ville qui était devant la porte du roi.

7 Et Mardochée lui déclara tout ce qui lui était arrivé, et l’offre de l’argent comptant qu’Haman avait promis de délivrer au trésor du roi, à l’occasion des Juifs, afin qu’on les détruisît.

8 Et il lui donna une copie de l’ordonnance qui avait été mise par écrit, et qui avait été publiée à Susan, afin de les exterminer, pour la montrer à Ester, et lui faire entendre la chose, et lui ordonner d’entrer vers le roi, pour lui demander grâce, et le prier pour sa nation.

9 Ainsi Hathac revint, et rapporta à Ester les paroles de Mardochée.

10 Et Ester dit à Hathac, et lui commanda de dire à Mardochée :

11 Tous les serviteurs du roi, et le peuple des provinces du roi, savent qu’aucun homme ni femme n’ose entrer vers le roi, dans la salle de dedans, sans y être appelé ; c’est une de ses lois de le faire mourir ; il n’y a que celui à qui le roi tend le sceptre d’or qui puisse vivre. Or, il y a déjà trente jours que je n’ai point été appelée pour entrer vers le roi.

12 On rapporta donc les paroles d’Ester à Mardochée.

13 Et Mardochée dit qu’on fît cette réponse à Ester : Ne pense pas que tu échapperas seule d’entre tous les Juifs, parce que tu es dans la maison du roi.

14 Car, si tu te tais en ce temps, les Juifs respireront et seront délivrés par quelque autre moyen, mais vous périrez, et toi et la maison de ton père. Et qui sait si tu n’es point parvenue à la royauté pour un temps comme celui-ci ?

15 Alors Ester dit qu’on fît cette réponse à Mardochée :

16 Va, assemble tous les Juifs qui se trouveront à Susan, et jeûnez pour moi, et ne mangez ni ne buvez de trois jours, tant la nuit que le jour ; et pour moi et mes demoiselles, nous jeûnerons de même ; puis je m’en irai ainsi vers le roi, bien que ce soit contre la loi, et s’il arrive que je périsse, je périrai.

17 Mardochée donc s’en alla et fit comme Ester lui avait commandé.

REFLEXIONS
L’état où Mardochée et les Juifs se virent réduits après que l’édit, qui ordonnait leur destruction eut été publié, montre que les innocents sont quelques fois abandonnés à leurs ennemis en sorte que leur perte parait inévitable, mais Dieu leur suscite alors des moyens de délivrance auxquels ils ne s’attendaient pas. II. Il faut remarquer qu’Ester, avertie de la part de Mardochée du malheur qui menaçait les Juifs, craignit d’abord d’en parler au roi, mais Mardochée lui ayant fait dire que si elle n’avait pas le courage d’agir en faveur de sa nation, Dieu l’en punirait et qu’il délivrerait son peuple sans elle et par d’autres moyens, elle prit la résolution, au hasard de s’exposer à l’indignation du roi, d’intercéder pour les Juifs. Il ne faut jamais refuser de s’intéresser pour les innocents et surtout pour le bien de l’église, chacun doit s’y employer, même au péril de sa vie en de certains cas et ceux qui peuvent y contribuer, et ceux qui n’osent pas le faire de peur de s’attirer quelque disgrâce, doivent craindre que Dieu ne les punisse. Enfin, comme Ester, avant que de se présenter devant le roi, voulut que les Juifs priassent et jeûnassent avec elle, il faut toujours recourir au Seigneur dans les dangers et dans les entreprises importantes et joindre la prière aux moyens qu’on emploie pour réussir afin que Dieu les bénisse.

CHAPITRE V.

La reine Ester, après avoir prié et jeûné pendant trois jours, se présente devant le roi Assuérus son époux. Elle est reçue favorablement et elle le prie de venir avec Haman à deux festins qu’elle avait préparé. Cependant, Haman indigné contre Mardochée fait dresser un gibet pour l’y pendre.

1 Au troisième jour, Ester se revêtit de son habit royal, et se tint dans la salle de dedans du palais du roi, qui était au-devant du palais du roi ; et le roi était assis sur le trône de son royaume, dans le palais royal, vis-à-vis de la porte du palais.

2 Or, dès que le roi vit la reine Ester, qui se tenait debout dans la salle, elle gagna ses bonnes grâces, de sorte que le roi tendit à Ester le sceptre d’or qui était en sa main ; et Ester s’approcha et toucha le bout du sceptre.

3 Et le roi lui dit : Qu’as-tu, reine Ester, et quelle est ta demande ? Quand ce serait jusqu’à la moitié du royaume, il te sera donné.

4 Et Ester répondit : Si le roi le trouve bon, que le roi vienne aujourd’hui, avec Haman, au festin que je lui ai préparé.

5 Alors le roi dit : Qu’on fasse venir en diligence Haman, pour faire ce qu’Ester a dit. Le roi vint donc avec Haman au festin qu’Ester avait préparé.

6 Et le roi dit à Ester, dans le vin du festin : Quelle est ta demande ? et elle te sera accordée ; et quelle est ta prière ? quand tu me demanderais jusqu’à la moitié du royaume, cela sera fait.

7 Alors Ester répondit et dit : Ma demande et ma prière est :

8 Si j’ai trouvé grâce devant le roi, et si le roi trouve bon de m’accorder ma demande et d’octroyer ma requête, que le roi et Haman viennent au festin que je leur préparerai, et je ferai demain ce que le roi dit.

9 Et Haman sortit en ce jour-là, joyeux et fort gai ; mais sitôt qu’il eut vu, à la porte du roi, Mardochée, qui ne se leva point, et qui ne se remua point pour lui, Haman fut rempli de colère contre Mardochée.

10 Toutefois, Haman se fit violence et vint en sa maison ; puis il envoya chercher ses amis et Zérès sa femme.

11 Alors Haman leur raconta la gloire de ses richesses, et le nombre de ses enfants, et tout ce que le roi avait fait pour l’agrandir, et comment il l’avait élevé au-dessus des principaux seigneurs et des officiers du roi.

12 Haman dit aussi : Et même, la reine Ester n’a fait venir que moi avec le roi, au festin qu’elle a fait, et je suis encore convié par elle pour demain, avec le roi.

13 Mais tout cela ne me sert de rien, pendant tout le temps que je vois Mardochée, ce Juif, assis à la porte du roi.

14 Alors Zérès sa femme, et tous ses amis lui répondirent : Qu’on fasse un gibet haut de cinquante coudées, et, demain matin, dis au roi, qu’on y pende Mardochée ; et va-t’en joyeux au festin avec le roi. Cela plut à Haman, et il fit faire le gibet.

REFLEXIONS
Il faut remarquer ici :

I. Le courage et la résolution d’Ester, qui après s’être préparée par le jeûne et par la prière, se présenta devant le roi dans le dessein d’intercéder pour les Juifs, quoi qu’il fût défendu sous peine de la vie d’aller vers le roi sans être appelé. Quand il s’agit de notre devoir envers Dieu ou envers l’église, nous ne devons point avoir d’égard à nous-mêmes et il faut suivre notre vocation et faire tout ce qui dépend de nous quel qu’en doive être le succès.

II. Assuérus reçut favorablement la reine Ester quoiqu’elle eût craint d’abord de paraître devant lui. Ce fut là l’effet du jeûne et des prières de cette princesse, aussi bien que celles des Juifs.
Par la prière et par l’humiliation on obtient de Dieu des succès favorables, surtout lorsque sa gloire y est intéressée et il fléchit le cœur des hommes et même celui des rois en faveur de ceux qui le craignent et qui se confient en lui. III. Ester ne demanda pas d’abord au roi ce qu’elle se proposait de lui demander, mais elle le pria de venir deux jours consécutifs à un festin avec Haman. Elle en usa ainsi par prudence pour gagner plus facilement le roi et pour confondre Haman en sa présence. Enfin, on voit ici que quoi qu’Haman fût encore alors au comble de la gloire et des honneurs, il ne pouvait goûter aucune joie solide parce que Mardochée ne se prosternait pas devant lui et que, pour se délivrer de ce chagrin, il fit faire un gibet pour y pendre Mardochée. Ceux qu’on voit dans la plus haute élévation ne sont pas toujours aussi heureux qu’on le croit, ils ont ordinairement quelque chagrin secret qui les dévore et il ne faut même que peu de chose pour répandre de l’amertume sur toute leur postérité. En particulier, les hommes superbes et ambitieux ne goutent jamais de solide contentement, ils trouvent leur punition dans leur propre orgueil et dans la mortification qu’ils ressentent lorsqu’on ne les honore pas assez à leur gré et ils s’abandonnent alors aux mouvements de la colère et de la vengeance. Mais lorsqu’ils semblent le plus affermis et qu’ils oppriment les innocents, c’est alors que leur ruine est près d’arriver et qu’ils la hâtent eux-mêmes par leur imprudence et par leur méchanceté.

CHAPITRE VI.

Le roi Assuérus ne pouvant dormir et s’étant fait apporter le registre public, on lui lut l’endroit où il était fait mention de la conspiration que deux de ses officiers avaient faite contre lui et que Mardochée avait découverte. Assuérus, pour récompenser Mardochée, lui fit faire le tour de la ville avec de grands honneurs et le fit même conduire par Haman l’ennemi des Juifs et le premier seigneur de son royaume qui était venu ce jour-là pour demander la mort de Mardochée. Haman après avoir ainsi conduit Mardochée s’en retourna fort chagrin dans sa maison.

1 Cette nuit-là le roi ne pouvait pas dormir ; et il commanda qu’on lui apportât le livre des mémoires, c’est-à-dire, les Chroniques ; et on les lut devant le roi.

2 Et on trouva écrit que Mardochée avait donné avis de la conspiration de Bigthan et Térès, deux des eunuques du roi, d’entre ceux qui gardaient l’entrée, et qui avaient cherché de mettre la main sur le roi Assuérus.

3 Alors le roi dit : Quel honneur et quelle magnificence a-t-on faits à Mardochée pour cela ? Et les gens du roi qui le servaient répondirent : On ne lui en a point fait.

4 Et le roi dit : Qui y a-t-il au vestibule ? (Or, Haman était venu au vestibule du palais du roi, pour dire au roi qu’il fît pendre Mardochée au gibet qu’il lui avait fait préparer.)

5 Et les gens du roi lui répondirent : Voilà Haman qui est au vestibule ; et le roi dit : Qu’il entre.

6 Haman entra donc, et le roi lui dit : Que faudrait-il faire à un homme que le roi voudrait honorer ? (Or, Haman dit en son cœur : A qui le roi voudrait-il faire plus d’honneur qu’à moi ?)

7 Et Haman répondit au roi : Quant à l’homme que le roi veut honorer,

8 qu’on lui apporte le vêtement royal, dont le roi se revêt, et le cheval sur lequel le roi monte, et qu’on lui mette la couronne royale sur la tête.

9 Qu’ensuite on donne ce vêtement et ce cheval à quelqu’un des principaux et des plus grands seigneurs qui sont auprès du roi ; qu’on revête l’homme que le roi veut honorer, et qu’on le fasse aller à cheval par les rues de la ville, et qu’on crie devant lui : C’est ainsi qu’on doit faire à l’homme que le roi veut honorer.

10 Alors le roi dit à Haman : Hâte-toi, prends le vêtement et le cheval, comme tu l’as dit, et fais cela à Mardochée le Juif, qui est assis à la porte du roi ; n’omets rien de tout ce que tu as dit.

11 Haman donc prit le vêtement et le cheval, et il revêtit Mardochée, et il le fit aller à cheval par les rues de la ville, et il criait devant lui : C’est ainsi qu’on doit faire à l’homme que le roi veut honorer.

12 Puis Mardochée s’en retourna à la porte du roi ; mais Haman se retira promptement dans sa maison, tout affligé, et ayant la tête couverte.

13 Et Haman raconta à Zérès sa femme et à tous ses amis tout ce qui lui était arrivé. Alors ses sages et Zérès sa femme lui répondirent : Puisque Mardochée (devant lequel tu as commencé à tomber) est de la race des Juifs, tu n’auras point le dessus sur lui ; mais certainement tu tomberas devant lui.

14 Et comme ils parlaient encore avec lui, les eunuques du roi survinrent et se hâtèrent d’amener Haman au festin qu’Ester avait préparé.

REFLEXIONS
On ne saurait assez admirer la providence dans ce qui est rapporté ici. Elle paraît I. En ce que dans le temps que les Juifs allaient périr et le propre jour que Mardochée devait perdre la vie, Dieu voulut que le roi Assuérus ne pût dormir, qu’il fit lire les registres publics et qu’on lui lut précisément l’endroit où était marqué le service important que Mardochée avait rendu au roi en donnant avis de la conjuration de deux officiers qui avaient voulu lui ôter la vie. Par ce moyen, ce que Mardochée avait fait et qui avait été oublié, comme cela arrive ordinairement chez les grands, fut récompensé dans un temps où il en arriva un beaucoup plus grand bien et à Mardochée et à toute la nation des Juifs que si cette action eût été récompensée d’abord. Dieu fait tout avec une profonde sagesse, il laisse quelquefois venir les choses à un point qu’il semble qu’il ait oublié ceux qui le craignent, mais son secours vient toujours à propos et lorsqu’il le faut et il dispose de tous les événements pour leur bien. Une autre merveille de la providence que l’on découvre ici, c’est qu’Haman venait ce jour-là vers Assuérus pour obtenir l’ordre de faire pendre Mardochée, ce lui aurait été infailliblement accordé et qu’aveuglé par son orgueil il crut prononcer pour lui-même, lorsqu’Assuérus lui demanda quel honneur on pourrait faire à un homme que le roi voudrait honorer d’une manière distinguée. Il ordonna lui-même sans le savoir le triomphe de Mardochée qu’il haïssait si fort et dont il venait demander le supplice et il fut obligé de l’accompagner par toute la ville. Ainsi il eut la douleur et la honte de devenir contre son intention l’instrument de l’élévation et de la gloire de celui dont il avait résolu la perte et Mardochée reçut les plus grands honneurs le jour même qu’il devait être attaché à un gibet. Cet événement si imprévu et si extraordinaire et les suites qu’il eut par rapport à Haman et à la nation des Juifs marque de la manière la plus sensible que c’était Dieu qui le dispensait par sa puissance et par sa sagesse infinie pour délivrer Mardochée et les Juifs et pour confondre Haman, leur cruel oppresseur.

CHAPITRE VII.

Assuérus étant allé avec Haman au second festin auquel la reine Ester l’avait convié, elle le prie de révoquer l’ordre qu’il avait donné, à la sollicitation d’Haman, pour faire mourir les Juifs. Le roi indigné contre Haman commande qu’il soit pendu au même gibet qu’il avait fait faire pour y pendre Mardochée.

1 Le roi et Haman vinrent donc au festin, avec la reine Ester.

2 Et le roi dit à Ester, encore ce second jour dans le vin du festin : Quelle est ta demande, reine Ester ? et elle te sera accordée ; et quelle est ta prière ? fût-ce jusqu’à la moitié du royaume, cela sera fait.

3 Alors la reine Ester répondit, et dit : Si j’ai trouvé grâce devant toi, ô roi ; et si le roi le trouve bon, que ma vie me soit donnée à ma demande, et qu’on accorde mon peuple à ma prière.

4 Car nous avons été vendus, moi et mon peuple, pour être exterminés, tués et détruits. Que si nous n’avions été vendus que pour être serviteurs et servantes, je me fusse tue, quoique l’oppresseur ne dédommagerait point de la perte qui en reviendrait au roi.

5 Et le roi Assuérus dit à la reine Ester : Qui est, et où est cet homme qui a été si téméraire que de faire cela ?

6 Et Ester répondit : L’oppresseur et l’ennemi, est ce méchant Haman. Alors Haman fut troublé de la présence du roi et de la reine.

7 Et le roi en colère, se leva du vin du festin, et il entra dans le jardin du palais ; mais Haman se tint là, afin de prier la reine Ester pour sa vie ; car il voyait bien que le roi était résolu de le perdre.

8 Ensuite le roi retourna du jardin du palais, au lieu où l’on avait présenté le vin du festin. Or, Haman s’était jeté sur le lit sur lequel était Ester. Et le roi dit : Ferait-il bien encore violence, en ma présence, à la reine dans cette maison ? Dès que la parole fut sortie de la bouche du roi, aussitôt on couvrit la face d’Haman.

9 Et Harbona, l’un des eunuques, dit en la présence du roi : Voilà, même le gibet qu’Haman a fait faire pour Mardochée, qui donna ce bon avis pour le roi, est tout dressé dans la maison d’Haman, haut de cinquante coudées. Et le roi dit : Pendez-l’y.

10 Et ils pendirent Haman au gibet qu’il avait préparé pour Mardochée ; et la colère du roi fut apaisée.

REFLEXIONS
L’on voit dans ce chapitre la chute soudaine d’Haman. Quoiqu’il fût le favori d’Assuérus, Ester l’accusa en présence de ce monarque et fit connaître l’injustice et la cruauté de cet ennemi des Juifs. Haman se sentant coupable ne put rien dire pour se justifier et le roi étant irrité contre lui, il fut non seulement disgracié, mais même condamné à mort et attaché avec ignominie au même gibet qu’il avait fait dresser pour y pendre Mardochée. Ce sont ici de nouvelles merveilles où l’on découvre la providence et la justice de Dieu. On y voit bien sensiblement la vanité des grandeurs humaines, la manière dont Dieu abaisse et punit les orgueilleux, les calomniateurs et les hommes sanguinaires et cruels et le soin particulier qu’il a de son église, et en général les innocents. Enfin, cet exemple montre clairement que Dieu, qui est juste, punit souvent les méchants en faisant retomber sur eux le mal qu’ils avaient préparé aux autres.

CHAPITRE VIII.

Le roi Assuérus donne à Mardochée les biens et les emplois d’Haman et il fait expédier, à la prière d’Ester, des lettres par lesquelles il révoque les ordres qu’il avait donnés contre les Juifs et il leur permet de se défendre contre leurs ennemis, ce qui fut pour les Juifs le sujet d’une grande joie.

1 En ce même jour-là, le roi Assuérus donna à la reine Ester la maison d’Haman qui opprimait les Juifs. Et Mardochée se présenta devant le roi ; car Ester avait déclaré ce qu’il lui était.

2 Et le roi prit son anneau, qu’il avait fait ôter à Haman, et le donna à Mardochée, et Ester établit Mardochée sur la maison d’Haman.

3 Et Ester continua de parler en la présence du roi, et se jetant à ses pieds, elle pleura, et le supplia de faire que la malice d’Haman Agagien, et ce qu’il avait machiné contre les Juifs, n’eût point d’effet.

4 Et le roi tendit son sceptre d’or à Ester ; alors Ester se leva et se tint debout devant le roi,

5 et elle dit : Si le roi le trouve bon, si j’ai trouvé grâce devant lui, si la chose semble raisonnable au roi, et si je lui suis agréable, qu’on écrive pour révoquer les lettres qui regardaient la machination d’Haman, fils d’Hammédatha, Agagien, qu’il avait écrites, pour détruire les Juifs qui sont dans toutes les provinces du roi.

6 Car, comment pourrais-je voir le mal qui arrivera à mon peuple, et comment pourrais-je voir la destruction de mon parentage ?

7 Et le roi Assuérus dit à la reine Ester et à Mardochée le Juif : Voilà, j’ai donné la maison d’Haman à Ester ; on l’a pendu au gibet, parce qu’il avait étendu sa main sur les Juifs.

8 Vous donc, écrivez au nom du roi, en faveur des Juifs, comme il vous semblera bon, et cachetez l’écrit de l’anneau du roi ; car l’écriture qui est écrite au nom du roi, et cachetée de l’anneau du roi, ne se révoque point.

9 Alors, et tout aussitôt, au vingt-troisième jour du troisième mois, qui est le mois de Sivan, les secrétaires du roi furent appelés, et on écrivit aux Juifs, comme Mardochée le commanda, et aux satrapes, aux gouverneurs et aux principaux des provinces, qui étaient depuis les Indes jusqu’en Ethiopie, savoir, cent vingt-sept provinces, à chaque province selon sa façon d’écrire, et à chaque peuple selon sa langue, et aux Juifs selon leur façon d’écrire, et selon leur langue.

10 On écrivit donc des lettres au nom du roi Assuérus ; et on les cacheta de l’anneau du roi ; puis on les envoya par des courriers, qui étaient montés sur des genêts, des mulets et des juments ;

11 savoir : Que le roi avait permis aux Juifs, qui étaient dans chaque cité, de s’assembler, et de se mettre en défense pour leur vie, afin d’exterminer, de tuer et de détruire toute multitude, de quelque peuple et de quelque province que ce fût, qui se trouverait en armes pour les opprimer, et d’exterminer avec eux leurs petits-enfants, et leurs femmes, et de piller leurs dépouilles ;

12 et en un même jour, dans toutes les provinces du roi Assuérus, savoir, au treizième jour du douzième mois, qui est le mois d’Adar.

13 Les patentes qui furent écrites portaient, qu’on publierait l’ordonnance dans chaque province et qu’on la notifierait publiquement à tous les peuples, afin que les Juifs fussent prêts en ce jour-là, pour se venger de leurs ennemis.

14 Ainsi les courriers, qui étaient montés sur des genets et des mulets, partirent, se dépêchant et se hâtant pour l’ordre du roi ; et l’ordonnance fut aussi publiée à Susan, ville capitale.

15 Et Mardochée sortait de devant le roi en habit royal, de couleur d’hyacinthe et blanc, avec une grande couronne d’or, et une robe de fin lin et d’écarlate ; et la ville de Susan applaudissait aux Juifs et se réjouissait.

16 Et il y eut pour les Juifs de la prospérité, de la joie, de la réjouissance et de l’honneur.

17 Et dans chaque province, et dans chaque ville, dans les lieux où la parole du roi et son ordonnance parvint, il y eut de même de l’allégresse et de la joie pour les Juifs, des festins et des jours de fêtes ; même, plusieurs des peuples des pays se faisaient Juifs, parce que la frayeur qu’ils avaient des Juifs les avait saisis.

REFLEXIONS
Ce qu’il y a à remarquer dans ce chapitre c’est que non seulement Haman fut puni et que les Juifs furent garantis du massacre qu’on en devait faire, mais que Mardochée prit la place d’Haman et fut élevé aux mêmes honneurs que cet ennemi du peuple de Dieu et que même les Juifs furent autorisés à se défendre contre tous ceux qui voudraient leur nuire. La reine Ester demanda au roi que les Juifs eussent la permission de se garantir ainsi en prenant les armes, cette précaution était nécessaire parce qu’elle prévoyait qu’après les ordres qu’Haman avait donnés, les Juifs seraient attaqués en divers endroits, ce qui arriva aussi. Par ce moyen les alarmes où les Juifs étaient, furent dissipées et changées en joie et cette merveilleuse délivrance servit même à la gloire de Dieu, puisqu’il est remarqué que plusieurs personnes embrassèrent alors la religion des Juifs. Nous voyons ici la vérité de ce qui est dit dans l’Écriture : que Dieu élève les petits de la poussière et qu’il les fait seoir sur des trônes de gloire, nous y remarquons que si le Seigneur permet que les justes soient affligés et s’il semble quelquefois
qu’il les ait livrés au pouvoir des méchants, il leur rend la paix et des jours heureux. Ce sont là de puissants motifs à nous confier en Dieu et à vivre toujours dans l’innocence afin que
nous ayons aussi toujours part à sa protection.

CHAPITRE IX.

Les Juifs, ensuite de la permission d’Assuérus, s’assemblent pour se défendre contre leurs ennemis et en tuent un grand nombre et cela le propre jour qui avait été marqué par Haman pour les faire périr eux-mêmes. Ensuite ils célèbrent une fête solennelle et la reine Ester et Mardochée ordonnent que ce jour-là serait célébré à l’avenir en mémoire d’une si grande délivrance. Cette fête fut appelée la fête de purim.

1 Au douzième mois donc, qui est le mois d’Adar, au treizième jour de ce mois-là, auquel la parole du roi et son ordonnance devaient être exécutées, au jour que les ennemis des Juifs espéraient d’en être les maîtres, le contraire arriva, et les Juifs furent maîtres de ceux qui les haïssaient.

2 Les Juifs s’assemblèrent dans leurs villes par toutes les provinces du roi Assuérus, pour mettre la main sur ceux qui cherchaient leur mal ; et nul ne put subsister devant eux, parce que la frayeur qu’on avait d’eux avait saisi tous les peuples.

3 Et tous les principaux des provinces, les satrapes, les gouverneurs et ceux qui maniaient les affaires du roi, soutenaient les Juifs, parce que la crainte qu’ils avaient de Mardochée les avait saisis.

4 Car Mardochée était grand dans la maison du roi, et le bruit se répandait par toutes les provinces, que ce Mardochée, allait toujours croissant.

5 Les Juifs donc tuèrent tous leurs ennemis à coups d’épée, et en firent un grand carnage, de sorte qu’ils disposèrent à leur volonté de ceux qui les haïssaient.

6 Même à Susan, ville capitale, les Juifs tuèrent et firent périr cinq cents hommes.

7 Ils tuèrent aussi Parsçandata, Dalphon, Aspatha,

8 Poratha, Adalja, Aridatha,

9 Parmasçtha, Arisaï, Aridaï, et Vajézatha,

10 Dix fils d’Haman, fils d’Hammédatha, qui opprimaient les Juifs ; mais ils ne mirent point leurs mains au pillage.

11 En ce jour-là, on rapporta au roi le nombre de ceux qui avaient été tués dans Susan, ville capitale.

12 Et le roi dit à la reine Ester : Dans Susan, ville capitale, les Juifs ont tué et détruit cinq cents hommes, et les dix fils d’Haman ; qu’auront-ils fait au reste des provinces du roi ? Toutefois, quelle est ta demande ? et elle te sera octroyée ; et quelle est encore ta prière ? et cela sera fait.

13 Et Ester répondit : Si le roi le trouve bon, qu’il soit permis encore demain, aux Juifs qui sont à Susan, de faire selon ce qui avait été ordonné de faire aujourd’hui, et qu’on pende au gibet les dix fils d’Haman.

14 Et le roi commanda que cela fût ainsi fait, de sorte que l’ordonnance fut publiée à Susan ; et on pendit les dix fils d’Haman.

15 Les Juifs donc, qui étaient à Susan, s’assemblèrent encore au quatorzième jour du mois d’Adar, et ils tuèrent à Susan trois cents hommes ; mais ils ne mirent point leurs mains au pillage.

16 Et le reste des Juifs qui étaient dans les provinces du roi, s’assemblèrent et se mirent en défense pour leur vie ; et ils eurent du repos de leurs ennemis, et ils tuèrent soixante et quinze mille hommes de ceux qui les haïssaient ; mais ils ne mirent point la main au pillage.

17 Cela se fit au treizième jour du mois d’Adar ; mais au quatorzième du même mois ils se reposèrent, et le célébrèrent comme un jour de festin et de joie.

18 Et les Juifs qui étaient à Susan, s’assemblèrent aux treizième et quatorzième jour du même mois ; mais ils se reposèrent au quinzième, et le célébrèrent comme un jour de festin et de joie.

19 C’est pourquoi, les Juifs des bourgs, qui habitent dans les villes qui ne sont point fermées de murailles, emploient le quatorzième jour du mois d’Adar en joie, en festin, en jour de fête, et à s’envoyer des présents l’un à l’autre.

20 Car Mardochée écrivit ces choses, et en envoya les lettres à tous les Juifs qui étaient dans toutes les provinces du roi Assuérus, tant près que loin ;

21 leur ordonnant de célébrer le quatorzième jour du mois d’Adar, et le quinzième jour du même mois chaque année,

22 qui étaient les jours auxquels les Juifs avaient eu du repos de leurs ennemis, et le mois où leur détresse fut changée en joie, et leur deuil en jour de fête ; afin qu’ils les célébrassent comme des jours de festin et de joie, et en s’envoyant des présents l’un à l’autre, et en envoyant des dons aux pauvres.

23 Et chacun des Juifs se soumit à faire ce qu’on avait commencé, et ce que leur avait écrit Mardochée ;

24 parce qu’Haman, fils d’Hammédatha, Agagien, qui opprimait tous les Juifs, avait machiné contre les Juifs de les détruire, et qu’il avait jeté Pur, c’est-à-dire le sort, pour les exterminer et les détruire.

25 Mais quand Ester fut venue devant le roi, il commanda par lettres que la méchante machination qu’Haman avait faite contre les Juifs, retombât sur sa tête, et qu’on le pendît, lui et ses fils, au gibet.

26 C’est pourquoi on appelle ces jours Purim, du nom de Pur ; et suivant toutes les paroles de cette lettre, et selon ce qui en était résulté, et ce qui leur était arrivé,

27 les Juifs établirent et se soumirent, eux et leur postérité, et tous ceux qui se joindraient à eux, à ne manquer pas à célébrer ces deux jours, selon ce qui en avait été écrit, et dans leur saison, chaque année.

28 Et ils ordonnèrent que la mémoire de ces jours serait célébrée et solennisée dans chaque âge, dans chaque famille, dans chaque province et dans chaque ville ; et qu’on n’abolirait point ces jours de Purim parmi les Juifs, et que la mémoire de ces jours-là ne s’effacerait point en leur postérité.

29 La reine Ester aussi, fille d’Abihaïl, avec Mardochée le Juif, écrivit tout ce qui était requis pour autoriser cette patente de Purim, pour la seconde fois.

30 Et on envoya des lettres à tous les Juifs, par les cent vingt-sept provinces du royaume d’Assuérus, avec des paroles de paix et de vérité,

31 pour établir ces jours-là de Purim dans leur saison, comme Mardochée le Juif et la reine Ester l’avaient ordonné, et comme ils les avaient établis pour eux-mêmes et pour leur postérité, pour être des monuments de leur jeûne et de leurs cris.

32 Ainsi l’édit d’Ester autorisa cet arrêt-là de Purim, comme il est écrit dans ce livre.

CHAPITRE X.

Le roi élève Mardochée aux plus grands honneurs et Mardochée se servit de son crédit pour procurer le bien de sa nation.

1 Puis le roi Assuérus imposa un tribut sur le pays et sur les îles de la mer.

2 Pour ce qui est de tous les exploits de sa force et de sa puissance, et de la description de la magnificence de Mardochée, de laquelle le roi l’honora, ces choses ne sont-elles pas écrites dans le livre des Chroniques des rois de Mède et de Perse ?

3 Car Mardochée le Juif fut le second après le roi Assuérus, et il fut grand parmi les Juifs, et agréable à la multitude de ses frères, procurant le bien de son peuple, et parlant pour la prospérité de sa race

REFLEXIONS SUR LES CHAPITRES IX ET X

Il faut faire ces trois considérations sur ces deux derniers chapitres :

La première, que si les Juifs firent mourir leurs ennemis, ils le firent justement, non seulement parce qu’ils étaient dans le cas d’une défense juste et nécessaire, mais aussi parce que le roi les avait autorisés à cela et leur avait donné le droit de se défendre contre ceux qui les attaqueraient, nonobstant la révocation de l’édit qu’Haman avait obtenu contre les Juifs. Parmi ceux que les Juifs tuèrent, il y eut les fils d’Haman qui même furent pendus après leur mort, ce qui fut une marque de la malédiction de Dieu sur la famille de cet homme cruel et sanguinaire. La deuxième réflexion regarde la vérité et la certitude de l’histoire qui est contenue dans ce livre d’Ester. Cette certitude paraît par ce qui se lit dans le chapitre dixième que ces choses furent marquées dans les registres des rois de Mède et de Perse, mais principalement par l’établissement de la fête de purim qui fut ordonnée par Ester et Mardochée et qui a toujours été observée depuis et l’est encore aujourd’hui par les Juifs. Enfin, ce qui est dit à la fin de ce livre que Mardochée fut le second après le roi Assuérus, qu’il procura le bien de son peuple et qu’il parla pour la prospérité de sa nation fait voir aux grands et à ceux qui ont du crédit et de l’autorité que si Dieu les a ainsi élevés, il l’a fait afin qu’ils s’emploient pour soutenir les innocents, pour protéger l’église et pour procurer l’avancement de la religion et de la gloire de Dieu.

C’est ici la fin du livre d’Ester et des livres historiques du vieux Testament