LES LIVRES DES APOCRYPHES PREFACE PAR Mr. MARTIN

 LIVRES DES APOCRYPHES.

Après que Dieu eut parlé à plusieurs fois et en plusieurs manières à son peuple, ce peuple considérant qu’ils ne devaient rien avoir de plu cher au monde que les divines écritures, les rassembla toutes en un corps, pour empêcher qu’aucun de ces livres Saints ne vint à se perdre, et pour éviter qu’à l’avenir on ne confondit avec les écrits des prophètes, des ouvrages purement humains. On croit que ce recueil fût achevé du temps d’Esdras après le retour de la captivité de Babylone ; Et que ce Saint homme, à la tête du Sanhedrin composé, du pontife, des sacrificateurs et des principaux magistrats de la Nation, fit l’enregistrement des livres divins, et en dressa un catalogue que toute l’Eglise des siècles suivants, a religieusement respecté, et tenu pour inviolable. Dans ce recueil sont compris tous les livres de l’ancien testament, tels qu’on les trouve dans nos bibles et tels que nous les avons reçus des juifs, à qui, comme dit Saint Paul, les oracles de Dieu avaient été confiés. Tous les autres écrits qui ne se trouvent point dans cet ancien canon d’Esdras, et que l’Eglise Judaïque n’a jamais reconnu pour inspiré, nous les rejetons, avec elle, du nombre des livres canoniques de l’ancien testament ; et comme ce n’est qu’aux productions du Saint Esprit que nous devons ce respect, de soumettre notre foi à leurs décisions, nous n’avons garde de confondre avec ces divines productions, celles qui ne sont que l’ouvrage de l’esprit humain.

L’usage a voulu qu’on ait donné le nom d’apocryphes à quelques-uns de ces écrits, faits dans l’Eglise judaïque, après le siècle de Malachie, le dernier des prophètes, appelé à cause de cela par Tertullien, la boucle, où le lieu qui serre ensemble le Vieux et le Nouveau testament.

Ecrits qui ayant pu servir soit pour la morale, soit pour l’histoire, à l’Eglise de ces temps-là et étant écrits en grec, ont été joints par les juifs qu’on a appelé hellénistes, à la bible des septante. Ce n’était pas que ces juifs hellénistes ainsi appelés, à cause que vivant dans des pays éloignés de la Judée,  ils n’entendaient point l’hébreu, et ne lisaient l’Ecriture Sainte qu’en grec, aient prétendu, en joignant ces derniers livres à la traduction des septante, qu’ils dussent avoir la même autorité que les livres des prophètes ; ils en connaissaient trop bien la différence pour les confondre avec ces premiers, et jamais la synagogue, où les juifs hébreux n’auraient souffert un tel attentat. JESUS-CHRIST encore n’aurait pas manqué de le relever ; et les apôtres qui se servaient, ce semble, communément de la version des septante, n’auraient pas oublié de faire remarquer cet abus, si c’eut été là le dessein des juifs hellénistes, il faut donc conclure de tout cela, ou que ces mêmes sortes de livres n’avaient pas été joints dans un même volume avec la bible des septante, avant le temps de JESUS-CHRIST et des Apôtres, ou s’ils l’avaient été, les juifs d’alors, non plus que ceux des siècles suivants, n’en ont jamais fait d’autres usages que celui de les lire comme des écrits, dont les uns, l’Ecclésiastique par exemple, et la Sapience, contenaient de très belles leçons de morales ;et les autres comme ceux de Tobit, de Judith et des Maccabées, leur apprennent diverses particularités mémorables de l’histoire de leur Nation, depuis le temps d’Alexandre le Grand.

L’Eglise chrétienne dont la plus grande partie ne connaissait que la langue grecque, ne se servit d’abord que de la bible des Septante : on n’en lisait point d’autres, non seulement en Egypte et dans l’Asie ; mais il y en avait même un grand nombre de familles, et de synagogues dans la Judée où l’on se servait de cette ancienne traduction. Les pères des premiers siècles n’entendaient point l’hébreu, à la réserve d’Origène, et de Saint Jérôme, il y en a eu fort peu qui puissent lire et entendre les livres des prophètes dans leurs langues originales. A cette bible était joint comme nous venons de dire, au moins dans ces premiers siècles, ces livres écrits à la même langue, et dont la lecture avait son utilité et son agrément : on les reconnaissait pour ce qu’ils étaient c’est-à-dire, pour des écrits qui n’étaient pas divinement inspirés ; mais en peu de temps, et dès le second siècle, quelques-uns de ces écrits commencèrent à se trop prévaloir de leur proximité et de leur association avec les livres canoniques. C’est à cela qu’il faut rapporter le sujet de la demande qu’Onésime avait faite au célèbre Méliton, Evêque de Sardes, touchant le nombre des livres canoniques de l’Ancien testament. Cette demande marque l’ignorance et le doute, et ce doute n’ayant pu venir dans l’esprit d’un homme qui avait lu la bible en hébreu, ou traduite sur les livres contenus dans le canon d’Esdras c’était assurément la confusion qui en était été faite dans la bible des septante, qui avait donné lieu à cette demande. Mais ce qu’il y a ici de plus remarquable c’est que Méliton , quoi qu’il fut un des plus savants évêque de l’Asie, n’osa pas décider lui-même, et par ses propres lumières, cette importante question ; il alla tout exprès en Judée, et après avoir consulté les églises de ses pays-là, et avoir, sans doute, en-là-dessus quelques entretiens avec les juifs, il restreint, dans sa réponse à Onésime, le nombre des livres canoniques à ceux qui se trouvent au canon d’Esdras, il est vrai qu’Eusèbe de Césarée qui nous rapporte cette histoire dans son 4ème livre, ch .25 de son histoire Ecclésiastique, y nomme la Sapience après les proverbes, et avant l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques ; mais ce n’est qu’en prenant le mot Proverbes, et celui de Sapience, pour une même chose, dont le dernier nom, comme plus connu chez les grecs que l’autre, dans le sens qu’il est employé ici, sert d’explication au premier. Et c’est même la raison pour laquelle Méliton, cité par Eusèbe, ne met pas le mot grec Sophia, qui est en notre langue la sapience ou la sagesse, après le livre des cantiques, comme on le voit dans les éditions de la vulgate. Les Eglises d’Asie n’ont pas parlé autrement de ces livres, qu’en avait parlé Méliton, après celles de la Judée, trente-deux Evêques assemblés en concile, dans la ville de Laodicée, environ l’an 318 de notre Seigneur, ne reconnaissent pour les livres divins que ceux du canon d’Esdras, et mettent tous les autres au nombre des Apocryphes. Saint Jérôme le plus savant homme en son temps des Eglises d’occident, et celui de tous les pères qui a le mieux étudié toutes les matières qui ont regardé l’écriture Sainte, n’a pu se laisser dire et redire, dans plusieurs de ses préfaces sur la traduction de la bible, et ailleurs, qu’il n’y avait que les livres marqués dans le canon des juifs, qui fussent divins, et qu’ils puissent servir de règle à notre foi. Un seul passage de ce père suffira pour tous les autres, c’est ce qu’il en a écrit à Chromatius et Héliodore, Evêques, dans sa préface sur les livres de Salomon : nous avons dit-il trois livres de Salomon, les proverbes, l’Ecclésiastique et le Cantique des Cantiques ; car pour l’intitulé l’Ecclésiastique, et cet autre qui est faussement appelé la Sapience de Salomon, il en est d’eux comme des livres de Judith, de Tobie, et des Maccabées ; l’Eglise les lit bien, à la vérité, mais elle ne les reçoit pas entre les écrits canoniques ; en sorte que c’est pour l’édification du peuple qu’elle les lit, mais non pour prouver ou autoriser, aucun article de foi. C’était donc une opinion constante, du temps de Saint Jérôme, que les livres de Ecclésiastique, de la Sapience, de Judith, de Tobie, et des Maccabées, étaient des Apocryphes, c’est-à-dire des livres qui n’avaient point été écrits par l’inspiration du Saint Esprit, et qui par conséquent n’avait pas une autorité divine, et ce n’était encore un usage établi dans l’Eglise de les lire pour la simple édification que le peuple en pouvait recevoir, et non pas comme les écrits sur l’autorité desquels, ni l’Eglise, ni les particuliers fondassent aucun articles de foi. Environ dans ce même temps, Rufin prête d’Aquilée, et célèbres par plusieurs ouvrages, dont il n’y en a eu que quelques-uns qui soit parvenu jusqu’à nous, écrivit une exposition du symbole des Apôtres. Qui se trouvent parmi les œuvres de Saint Cyprien, il y fait le dénombrement des livres de l’Ecriture Sainte, et après avoir nommé un par un tous ceux de l’ancien Testament, tels qu’ils étaient dans le canon des juifs et que nous les avons dans nos bibles, et y avoir aussi marqué ceux du nouveau testament : ce sont là, dit-il, les livres que les pères ont compris dans le canon des Ecritures, et desquels ils ont enseigné qu’il fallait prendre les décisions des articles qui concernent la foi ; mais on doit savoir, ajoute-t-il, qu’il y a d’autres Livres que nos ancêtres ont appelés, non pas canoniques, mais Ecclésiastiques ; savoir la Sapience de Salomon et une autre Sapience, qui est de Sirach, et qui a aussi pour titre l’Ecclésiastique. De ce même genre sont le petit livre de Tobie, celui de Judith et ceux de Maccabées, tous les livres dont nos ancêtres ont bien voulu qu’on fit la lecture dans les Eglises, non pour être allégués en preuve sur aucun article de foi. Cependant ce sont-là ces livres que le concile de trente a déclarés canoniques, inspirés et divins, et d’une même autorité que ceux des prophètes et Apôtres. Mais ces livres faits et écrits si cela est pour l’Eglise judaïque, par des hommes inspirés, n’ont pourtant pas été écrits comme l’on était avant eux, tous les livres de l’ancien testament, en la langue des juifs, qui est l’Hébraïque, cela n’importe. Mais les juifs ne les ont jamais voulu reconnaitre pour divins, ni les admettre dans le canon des Ecritures, n’importe encore nous dit-on ; nous en savons là-dessus plus qu’eux. Et s’il en fallait croire aujourd’hui quelques écrivains hardis de l’Eglise romaine, il y a eu chez les juifs deux autres canons de l’écriture, depuis celui d’Esdras, et ces livres dont il s’agit ont été mis dans ces derniers, autre chimère, Saint Augustin a reconnu, avec Saint Jérôme que le canon des juifs n’avait point ces livres ; et les savants de cette communion, qui ont quelque bonne foi demeure d’accord avec nous, que c’est une fiction que ces deux autres canons de l’Eglise Judaïque. Que dire donc à tout cela ? dira-t-on qu’il n’y a au fond rien dans ces livres qui méritent le traitement que nous leur faisant et de les reléguer au nombre des Apocryphes ? Mais peut-on disconvenir qu’il n’ait rien dans plusieurs de ces livres diverses choses contraires à l’Ecriture Sainte, d’autres à la vérité de l’histoire, et d’autres enfin qui sont ineptes et ridicules, comme on le pourra voir. Mais supposé même qu’il n’y ait rien dans le livre de Tobie, de Judith, de l’Ecclésiastiques, etc, qui ne soit conforme à la parole de Dieu, est-ce-là une raison suffisante pour en faire des livres canoniques, et les prendre pour inspirés ? Il suffit de proposer cette question, pour faire voir l’absurdité de la conséquence que ceux de Rome ont tiré de ce principe.

Et d’où vient donc, si cela est, que leur concile, qui a été si libéral à canoniser un certain nombre de ces livres, ne les a pas canonisés tous, et qu’il a refusé cet honneur au troisième et quatrième livre d’Esdras, à la prière de Manassé, au troisième livre des Maccabées, pourquoi n’a-t-il pas aussi déclaré divin le cent cinquante et unième psaume, qui se trouve en grec dans la bible des septante à la fin du 150ème psaumes hébreux ? Ce psaume n’a rien que de bon, et il est même fort ancien, mais avec tout cela, il est demeuré Apocryphe, par cette seule raison qu’il ne se trouve point en hébreu et dans le canon des juifs.

Après tout ce que nous venons de dire, on pourrait s’étonner que nos Eglises n’aient pas ôté des bibles traduites en langues vulgaire tous ces écrits Apocryphes. La question en fût proposée dans le fameux synode Dordrecht, assemblé en 1618, et 1619. Et après un long examen, il fût conclu que l’usage étant établi depuis les premiers siècles de l’Eglise de mettre ces livres parmi les canoniques, il aurait pu sembler y voir de l’affectation à les en vouloir ôter aujourd’hui.

On considéra de plus que les controversistes de l’Eglise Romaine, n’auraient pas manqué de faire sonner bien haut cette nouveauté, et de faire croire à leurs peuples même aux personnes de notre communion, que ces livres ruinaient divers articles de notre croyance, et que c’était pour cela que nous les avions ôtés de nos bibles. Saint Jérôme nous apprend dans sa préface sur le livre de Daniel, que ç’avait été par une semblable raison de ménagement et de prudence, qu’il avait laissé dans sa bible le cantique des trois jeune Hébreux, l’histoire de Suzanne et celle de Bel et du dragon. Je sais bien dit-il que ce ne sont que des fables ; mais comme elles ont été jusqu’à présent entre les mains de tout le monde, je n’ai pas osé les ôter de peur que le peuple ignorant ne m’accusa, d’avoir supprimé une partie des livres de ce volume. Enfin, comme plusieurs de ces livres, l’Ecclésiastique, par exemple et la Sapience, contiennent de très belles maximes de morales, et que les livres de Maccabées, le premier surtout, sont fort utiles pour l’histoire de l’ancien peuple, on jugera à propos d’en faciliter la lecture en les mettant dans nos bibles ; mais avec cette sage précaution, qu’on marquerait diverses fautes qui se trouvent dans ces livres, et qu’on les mettrait tous ensemble à part dans les éditions de nos bibles, afin d’éviter le danger qu’il y aurait, qu’un lecteur peu attentif, ou peu éclairé ne les eut pris pour canoniques, si on les eut trouvé mêlé avec ceux de l’ancien testament, comme il l’avait été auparavant dans la version grecque, et dans la latine. Nous les donnons au reste, ici tel qu’ils ont été traduits dans nos bibles ordinaires, sans en avoir retouché que peu le langage. Ces livres sont lus de fort peu de monde, et si on en excepte l’Ecclésiastique, la Sapience, le premier livre des Maccabées, et le ch 7. du second, tout le reste ne vaut presque pas la peine d’être lu.